Et si Napoléon… anthologie dirigée par Stéphanie Nicot

En grand amateur de la période napoléonienne depuis mon enfance où je me faisais les batailles de Waterloo ou d’Austerlitz avec mes petits soldats, je me suis naturellement intéressé à ce recueil de nouvelles, dont la plupart sont écrites par des auteurs que j’apprécie beaucoup. Le livre compte donc 13 récits, traitant directement ou de plus loin du premier Empire. L’ouvrage livre est comme les anthologies Mnémos dont nous avons l’habitude pour les Imaginales : propre, aéré, et ça se dévore très vite ! Avant chaque écrit on découvre en quelques lignes l’auteur et quelques unes de ses œuvres.

Au service secret de l’Empire. Laurent Poujois nous fait vivre un court récit d’espionnage, dans lequel un agent français tente d’exfiltrer l’ingénieur américain Fulton, inventeur du bateau à vapeur et de la torpille. Sympathique, mais un peu trop rapide je trouve pour ce type de récit.

La dynamique de la révolution. Jean-Claude Dunyach nous propose un récit très rapide (un peu trop même), décrivant un Waterloo alternatif dans lequel un Lavoisier non décapité lors de la révolution ferait pencher l’issue de la bataille grâce à une invention détonante… L’auteur se débrouille pour placer plusieurs jeux de mots comme il en a l’habitude, et des anachronismes et autres dialogues croustillants.

La Nouvelle campagne de Russie. Fabien Cerutti imagine une histoire alternative de la campagne de Russie, surtout au niveau de son dénouement. Il redonne sa place dans le jeu politique à Pauline Bonaparte et l’imagine en diplomate discrète. Le récit de la campagne en elle-même est très fidèle à l’histoire, on redécouvre les faits depuis l’invasion de la Russie jusqu’à la Bérézina. L’auteur joue avec ses protagonistes, et mélange histoire et fiction de manière très crédible, jusqu’à un final digne des meilleures scènes de siège. Un superbe texte que j’ai beaucoup aimé.

L’empereur d’un autre monde. Johan Heliot traite de la partie la plus dure de la campagne de Russie, le passage de la Bérézina. Il ajoute cependant une chose qui fait basculer le récit dans le fantastique. Une courte nouvelle entre le fan-service et le gros clin d’œil, mais sympa à lire. Manque juste une petite apparition de Mac Ready…

Tout se distille. Bien loin des champs de bataille des précédents textes, Silène Edgar imagine une histoire sur les conséquences de la politique sous l’empire sur la population française. Un colporteur entouré d’une multitude d’enfants voyage dans une cariole fabuleuse, en vendant des élixirs de plante dans les villes qu’il traverse. Le récit est touchant, plein de sensibilité, il montre la misère qui gagne le peuple suite aux campagnes militaires, et l’incorporation des plus jeunes pour aller combattre.

Crassus et Auguste. Thibaud Latil-Nicolas se lance dans un exercice prospectif très ambitieux, avec un point de divergence situé après la tuerie de la bataille d’Eylau : Napoléon, choqué par la boucherie de cette bataille, signe une paix qui va complètement remodeler l’Europe. Un récit un peu rapide, mais qui fait travailler les neurones, et propose une démonstration de politique fiction passionnante.

Implacable Clio. Je ne sais pas si Jean-Philippe Jaworski avait échangé avec Thibaut Latil-Nicolas, mais comme lui il a imaginé un Empire qui dure longtemps, jusqu’à retomber dans une guerre… Ici elle est mondiale et on assiste à un nouveau débarquement allié dans les Dardanelles. Sauf que les Français débarquent avec des prussiens (alliés depuis 100 ans), contre les turcs appuyés par l’armée anglaise (ennemie de plus de 100 ans donc !). La plume de l’auteur nous décrit une bataille violente, sanglante, diablement fidèle aux faits historiques que l’on connait.

Le dernier rêve de Napoléon. Raymond Iss nous propose un double récit enchâssé, l’un traitant d’une vie alternative de Napoléon, depuis son enfance jusqu’à son ascension vers le pouvoir qu’il n’arrive pas à conquérir, et de l’autre un rêve sur le déroulement de la bataille d’Austerlitz. J’ai eu un peu de mal à entrer dans le récit qui demande plus de connaissances historiques que les autres textes du livre pour pleinement en profiter.

L’Horatius Coclès du Tyrol de Jean-Laurent Del Socorro. L’un des textes que j’ai le plus apprécié dans ce recueil. Il est très bien construit, et propose une histoire alternative vraiment décalée, dans laquelle le général Dumas (le père du père des 3 mousquetaires), militaire noir relégué malgré ses qualités au rang d’outil dans la véritable histoire, se retrouve à remporter les victoires de Napoléon à sa place, et à vivre son destin… Un récit qui m’a bluffé, replaçant dans le récit quelques uns des crimes de guerre commis par le futur empereur au proche orient.

Cent-Jour sans lui. Victor Dixen nous propose une courte nouvelle dans le registre fantastique, touchante, avec un empereur qui profite d’une paix qu’il n’a jamais connue.

Dernier soleil – Armand Cabasson. un auteur que je n’avais pas encore lu, mais qui nous relate un épisode dans la pure tradition du récit guerrier de siège, dans la veine d’une revisite de l’attaque du Fort Alamo par les Mexicains. Assez ludique, on sent bien que l’auteur joue avec son empereur retraité qui rempile pour une ultime bataille.

Mémorial de Philae – Ugo Bellagamba. Cet auteur inventif, que je ne lis pas assez, imagine que le consul Bonaparte a trouvé bien plus que la gloire lors de la bataille des Pyramides. Un récit très étonnant, qui replace Napoléon au centre de la grande horloge qui régit le rythme des temps divins de l’Égypte.

Rêve d’égalité – Michael Roch. Un récit qui traite de l’abolition de l’esclavage et de son rétablissement sous l’Empire. Un peu difficile à suivre sans une bonne connaissance de l’histoire, il replonge dans le passé houleux de Haïti à l’époque.

Ce recueil de nouvelles est donc un très bon cru, il regroupe des textes très variés, qui font bien réfléchir et permettent de se transporter dans cette période de l’empire, ou juste avant, ou parfois après. Il explore des lieux communs, mais aussi des recoins plus ou moins sombres de l’époque napoléonnienne. Il est évident pour moi que ce livre s’adresse à des gens ayant déjà une certaine culture de l’époque, notamment au niveau géopolitique. C’est peut-être le seul bémol, le livre ne sera un plaisir de lecture absolu que pour une frange réduite des lecteurs, beaucoup (moi y compris) risquent de passer à côté de certaines allusions, ne pas profiter de toutes les thèses des auteurs. L’occasion de se replonger dans les livres d’histoire ?

Autres avis: Le post-it sfff, à la croisée des pages,

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En papier

Treize récits d’uchronies napoléoniennes : Ugo Bellagamba • Armand Cabasson • Fabien Cerutti • Jean-Laurent Del Socorro • Victor Dixen • Jean-Claude Dunyach• Silène Edgar • Jean-Philippe Jaworski • Johan Heliot • Raymond Iss • Thibaud Latil-Nicolas • Laurent Poujois • Michael Roch

Anthologie dirigée par Stéphanie Nicot.

Édition: Mnémos

Parution: 11/06/21

Né le 15 août 1769 à Ajaccio et mort le 5 mai 1821 à Sainte-Hélène, Napoléon est une figure contestée, mais incontournable, de l’histoire de France. Douze auteurs et une autrice (les femmes ne lui ont pas pardonné leur statut d’éternelle mineure inscrit dans le Code civil !) ont donc relevé un défi digne du bicentenaire : raconter des histoires alternatives à celle que nous connaissons, qu’il s’agisse d’un Empire qui se survit un temps (« La Nouvelle campagne de Russie », « Crassus et Auguste », « Tout se distille », « Implacable Clio ») ou d’un songe qui passe (« L’Horatius Coclès du Tyrol », « Le dernier rêve de Napoléon », « Cent-Jours sans lui », « Dernier soleil »).

Adepte des armes de destruction massive (« Au Service Secret de l’Empereur », « La Dynamique de la révolution »), mais aussi pharaon d’Égypte (« Mémorial de Philæ »), fan de rencontre du troisième type (« L’Empereur d’un autre monde ») ou défenseur des droits humains (« Rêves d’égalité »), Napoléon est vraiment, grâce à la fine fleur de l’uchronie, dans tous ses états !

18 commentaires

  1. Excellente critique !

    J’ai aussi eu quelques difficultés à rentrer ou à apprécier certaines nouvelles, à peu près les mêmes que toi.
    C’est vrai que c’est un très bon cru, en plus, j’y ai découvert quelques auteurs.

    Merci pour le lien.

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  2. Je trouve le thème très intéressant et les nouvelles ont l’air variées dans les sujets choisis mais j’ai peur de ne pas être capable de suivre, ne connaissant pas très bien la période napoléonienne…
    A voir parce que j’ai très envie de découvrir celle de Jean-Laurent Del Socorro et de Fabien Cerutti après avoir lu ta chronique 😉

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    • On en discutait justement avec Célindanae, je n’arrive pas à savoir comment vont être appréciés certains textes par des lecteurs avec juste de vagues souvenirs de l’époque. Car certains textes sont des jeux avec la grande histoire, ne pas la connaître c’est passer à côté, totalement ou partiellement selon les nouvelles.
      Celle de Fabien Cerutti est presque un cours d’histoire sur la campagne de Russie, elle est donc très accessible et didactique, et je pense qu’une majorité de lecteurs discernera la réalité de la fiction. Celle de Jean-Laurent me semble plus érudite, mais avec une petite chronologie à côté ça doit passer.
      En tout cas je te conseille d’essayer, presque tous les textes valent franchement le coup.

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  3. J’aime pas le personnage mais j’adore la période ^^ Je suis en pleine lecture, je n’ai donc pas lu le détail de chaque nouvelle mais je te rejoins sur les trois premières. J’espère juste que tous les auteurs ne vont pas se focaliser sur Napoléon empereur mais aussi sur son passé de général au service de la République qui est la période que je trouve la plus intéressante.

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