Architectes du vertige anthologie

Le Grand prix de l’Imaginaire a annoncé il y a quelques semaines ses lauréats qui ont été pour la première fois récompensés lors du festival la Comédie du livre, qui s’est tenu au cours du mois de mai à Montpellier. Ce prix a vu le jour en 1974 et a fêté cette année son demi-siècle d’existence, l’occasion de se tourner vers le passé et de faire le point sur le chemin parcouru depuis sa création. Voilà comment est né cette anthologie Architectes du Vertige publiée par les éditions Le Bélial’ et regroupant 10 nouvelles primées. L’ouvrage est préfacé par Joëlle Wintrebert, présidente du jury depuis 2014, l’illustration de couverture est signé Caza et la postface est de Jean-Pierre Fontana, créateur du prix. 10 nouvelles pour 5 décennies, une anthologie pour les gouverner tous et dans l’imaginaire les mener.

Chaque texte est précédé par une courte introduction qui présente rapidement les raisons du choix pour l’anthologie et le contexte général du texte. Les textes sont classés par date de publication et choisi parmi les autres GPI d’une décennie.

La lecture commençait plutôt mal pour moi avec les 2 premiers textes. Je suis passée complètement à côté de Petite mort, petite amie de Yves Frémion (pour la décennie 1974 – 1983) qui a un peu trop vieilli pour moi. Accident d’amour de Wildy Petoud (1984 – 1993) joue sur l’horreur et le dégoût de manière un peu trop abrupte, et j’ai eu du mal à trouver un sens à tout cela.

Puis les choses se sont grandement améliorées par la suite avec de très bons textes dont certains valent à eux seuls la lecture de cette anthologie. Dans Déchiffrer la trame  de Jean-Claude Dunyach (1994 – 2003), deux conservateurs du musée des Civilisations décryptent du bout des doigts la trame d’un tapis du Kurdistan tissé au VIIIe siècle. L’écriture est très belle, le sujet émouvant et passionnant avec un travail d’archéologie en toile de fond.

Terry Bisson était un nouvelliste américain dont un des thèmes de prédilection était la lutte contre la peine de mort. Meucs (1995 – 2004), avec une traduction révisée de Gilles Goullet, illustre tout à fait cela. L’État fait cloner 168 fois un terroriste afin que les familles des victimes puissent obtenir vengeance. Le véritable terroriste fait partie des lots. Le titre original du texte est Macs et se réfère à Timothy McVeigh, l’auteur de l’attentat d’Oklahoma City en 1995. L’auteur fait aussi référence au big mac comme symbole américain de production à la chaîne. Le texte est raconté sous la forme de témoignage des familles et de la manière dont elles ont traité leur clone, exerçant un permis de tuer.

Les Yeux d’Elsa de Sylvie Lainé (2004 – 2013) raconte l’histoire d’un homme qui recueille une femelle dauphin génétiquement modifiée et porteuse d’une IA et qui va finir par avoir une relation quasi amoureuse avec elle. Cette histoire improbable est très touchante. On y parle des difficultés de communication, de l’idéalisation de l’amour.

On reste dans l’océan ensuite avec le très beau texte de Greg Egan, Océanique (2005 – 2014). La traduction est de Francis Lustman et Quarante-Deux. On y parle de la foi, un sujet pas évident mais très bien traité. Des humains sont exilés sur un nouveau monde et divisés en communautés. Le texte suit un jeune homme qui appartient aux océaniques, une communauté vivant sur des navires. Il va avoir la foi suite à une noyade. Cette foi va guider une partie de sa vie et de ses décisions jusqu’à ce que des analyses soient pratiquées sur l’eau. La nouvelle est tout en finesse, on suit le parcours de ce jeune homme tout en comprenant ses questionnements.

Le texte suivant est de la même décennie (2005 – 2014). Le Remède de Lisa Tuttle avec une traduction de Mélanie Fazi est une nouvelle émouvante. Le remède est le médicament ultime, celui qui permet de guérir de toutes les maladies, ce qui est franchement magnifique, mais avec aussi pour conséquence de détruire le langage, de perdre la parole. Comment communiquer sans le langage? Le langage est il le seul moyen de communication ou au contraire une maladie? Autant de questions qui vont se poser à un couple de femmes et leur enfant victimes de cette perte de langage. La fin apporte des réponses, mais peut-être pas celles que l’on voudrait.

Les 3 derniers textes sont de la période 2015 – 2023. La Fille-flûte de Paolo Bacigalupi avec une traduction de Sara Doke raconte l’histoire de 2 jumelles qui ont été vendues par leurs parents à une femme riche. Celle-ci les a transformé pour en faire des œuvres d’art par de multiples opérations chirurgicales. Cette nouvelle nous plonge dans un futur où la féodalité a repris le dessus avec des célébrités et leurs fortunes qui dirigent les fiefs. Un texte tragique, à la fois angoissant et fascinant, et qui donne envie de découvrir plus avant l’auteur.

Ethfrag de Laurent Genefort prend place dans l’univers d’Omale. On suit un chercheur humain qui dirige un camp d’expérimentation sur les Hodgqins pendant une guerre humano-hodgqine. Le texte se questionne sur la science et ses limites.

Shiva dans l’ombre de Nancy Kress, avec une traduction de Pierre-Paul Durastanti, se déroule dans un futur lointain. Le vaisseau Kepler est parti explorer le centre galactique et les abords du trou noir supermassif Sagittarius A* qui l’occupe. Il y a 3 personnes à bord du vaisseau: 2 scientifiques et la capitaine également narratrice du texte. Le texte suit 2 fils narratifs: les personnages à bord du vaisseau et les même personnages dont la conscience a été téléchargée pour explorer le trou noir.

Architectes du Vertige est une très belle anthologie qui permet de (re)découvrir des nouvelles qui ont marqué le grand prix de l’imaginaire depuis sa création il y a 50 ans. Les choix ont été difficiles selon les décennies mais les nouvelles sont globalement de très haut niveau et montrent toute la qualité de ce format en Imaginaire.

Autres avis: L’épaule d’Orion, Yossarian,

Auteurs : Yves FRÉMION, Wildy PETOUD, Jean-Claude DUNYACH, Sylvie LAINÉ, Laurent GENEFORT, Terry BISSON, Lisa TUTTLE, Greg EGAN, Paolo BACIGALUPI, Nancy KRESS

Éditions: Le Bélial’

Publication : 16 mai 2024

Cinquante années de Grand Prix de l’Imaginaire.
Dix textes sélectionnés parmi les lauréats du plus prestigieux des prix littéraires dédiés à la science-fiction, au fantastique et à la fantasy. Dix récits du vertige et de l’émerveillement.
Une anthologie anniversaire au faîte d’un monument.

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