Widjigo d’Estelle Faye

Estelle Faye est un peu une « touche à tout  » dans le domaine de l’imaginaire. Elle a écrit de la science-fiction, de la fantasy, des romans pour la jeunesse. Elle a également produit beaucoup de nouvelles. On retrouve l’autrice chez Albin Michel Imaginaire avec Widjigo, un roman fantastique se déroulant entre Terre-Neuve et la Bretagne. Si le livre fait un peu penser à Notre Dame les loups d’Adrien Tomas et à Terror de Dan Simmons, il contient aussi beaucoup d’éléments de l’univers de la romancière avec notamment une grande place consacrée à l’océan et l’histoire.

L’importance du cadre

Dans Widjigo, les lieux et l’époque ont beaucoup d’importance pour mettre en place une ambiance très oppressante. Tout débute en 1793 en Basse Bretagne. Jean Verdier, un jeune lieutenant de la République doit arrêter le marquis Justinien de Salers qui a trouvé refuge dans une forteresse en bord de mer. Une fois arrivé sur place au début de la nuit, le marquis accepte de se rendre, mais seulement une fois qu’il aura raconté son histoire durant la nuit au lieutenant de la république. Une histoire qui se déroula 40 ans plus tôt dans le Nouveau Monde, en 1754 à Terre-Neuve. Justinien, noble ruiné et alcoolique, est engagé pour retrouver la trace d’un cartographe disparu sur l’île de Terre-Neuve. Pour l’accompagner dans cette expédition, plusieurs personnes sont embauchées: Gabriel, le seul survivant de la précédente, Marie, une sang-mêlée, et Veneur, un botaniste. C’est alors qu’une violente tempête fait chavirer le bateau où se trouvaient les 4 personnages, entrainant les différents survivants à combattre l’hostilité de ce coin perdu de Terre-Neuve.

Le récit entremêle les deux périodes historiques avec un contexte différent, 1793 en pleine révolution avec son lot de guillotinés et d’oppositions, et 1754 en Nouvelle-France, territoire en pleine mutation et victime des conflits entre français et britanniques. Deux époques marquées par la guerre, les morts, la misère et l’injustice. Les lieux ont également une très grande part dans le récit. Avec d’un côté de l’océan la Bretagne et ses côtes, et de l’autre Terre-Neuve et ses forêts sauvages, son froid qui transit les corps.

Estelle Faye décrit ces lieux et ces époques avec brio, nous faisant ressentir l’air marin, les rafales de vent, la neige et le froid, l’immensité des paysages, et à quel point l’homme est réduit à peu de chose au milieu de la rudesse de la nature profonde. L’écriture de l’autrice est très visuelle, on s’imagine très bien les lieux, les actions, et on se fait véritablement happer par le récit. Elle arrive à nous faire ressentir la tension qui monte peu à peu entre les différents survivants devant faire face à la fois à un milieu hostile, mais aussi aux autres protagonistes.

Un roman de monstres

Widjigo est une mise en abyme de différentes histoires. C’est un récit historique, un récit de survie angoissant, une histoire entremêlant les époques et les lieux, et un roman fantastique mettant en scène des monstres. Le terme monstre peut être entendu de différentes manières. Il y a tout d’abord le Widjigo, la créature des légendes du peuple Algonquin. Puis il y a les monstres que l’homme peut se créer dans sa propre folie, qu’elle soit liée au puritanisme, au fanatisme ou encore à des situations tragiques.

Estelle Faye créé un climat oppressant tel qu’on se demande ce qui se passe réellement, si ces personnages ont basculé dans la folie, s’ils sont victimes d’une malédiction ou si ils sont coupables d’atrocités. Ses personnages sont complexes et ambigus, et Estelle Faye en joue afin de brouiller sans cesse les cartes au point que le lecteur doute autant que chacun des personnages. L’autrice arrive également à construire son récit de manière magistrale en seulement 250 pages, arrivant à parler de plusieurs thématiques, mais aussi de l’importance des histoires que l’on transmet.

Avec Widjigo, Estelle Faye signe un de ses meilleurs romans à ce jour. Un roman de monstres très prenant, glaçant et très bien écrit à l’ambiance sombre et oppressante. Widjigo est un véritable roman fantastique qui joue avec son lecteur en prenant appui sur les légendes et l’Histoire. Alors n’hésitez pas une seconde et embarquez pour les brumes de Terre-Neuve, royaume du Widjigo.

Autres avis: L’épaule d’Orion, Just a word, Outrelivres, Fantasy à la carte, Lullaby, Yuyine,

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En papier

Autrice : Estelle Faye

Édition: Albin Michel Imaginaire

Publication : 29 septembre 2021

En 1793, Jean Verdier, un jeune lieutenant de la République, est envoyé avec son régiment sur les côtes de la Basse-Bretagne pour capturer un noble, Justinien de Salers, qui se cache dans une vieille forteresse en bord de mer. Alors que la troupe tente de rejoindre le donjon en ruines ceint par les eaux, un coup de feu retentit et une voix intime à Jean d’entrer. À l’intérieur, le vieux noble passe un marché avec le jeune officier : il acceptera de le suivre quand il lui aura conté son histoire. Celle d’un naufrage sur l’île de Terre-Neuve, quarante ans plus tôt. Celle d’une lutte pour la survie dans une nature hostile et froide, où la solitude et la faim peuvent engendrer des monstres…

22 commentaires

  1. […] Ma chronique : Basse-Bretagne, 1793 : Jean Verdier et sa troupe viennent arrêter Justinien de Salers, vieux marquis défiguré et retranché dans son fort au bord de la mer. Mais Justinien lui demande d’accepter d’entendre son histoire. Et durant toute la nuit, Justinien lui racontera ce qui a bouleversé sa vie.Terre-Neuve, 1754 : Justinien, renié et exilé par son père, écume les tavernes de l’Acadie devenue anglaise et s’abrutit dans l’alcool, quand un négociant lui propose de rejoindre une équipe qui recherchera la cause de la disparition d’une expédition menée par un cartographe.Justinien accompagne Marie, la métisse algonquine en qui il reconnaît la mystérieuse Camarde qui le surveillait, Clément, un botaniste qui a fait partie d’une précédente expédition, et Gabriel, le seul rescapé de ladite expédition disparue. Mais le bateau sur lequel ils avaient embarqué échoue loin de leur destination, du côté opposé de l’île. Les quelques rescapés — notre équipe et d’autres survivants — se retrouvent isolés, dans un environnement hostile, froid, gris et humide. Au matin, un cadavre dans un état effroyable est découvert. Alors que commence un long périple pour rejoindre la partie habitée de l’île, dans une nature inhospitalière en hiver, d’autres voyageurs meurent dans des conditions atroces.Tout le monde se méfie de son voisin, la marche harassante épuise des voyageurs ; et rapidement, plane le mythe du Widjigo, ce monstre qui naîtrait de la faim, de la solitude, et qui dévorerait les âmes. L’ambiance horrifique de ce roman fantastique est servie par la plume littéraire et évocatrice de l’auteure, qui décrit un univers rugueux, sombre et inquiétant. On sent le sel, les marées, la boue, l’humidité ; on marche avec les personnages dans un monde isolé où la fin de l’hiver teinte l’environnement de gris obscur, gris-blanc, ou gris cendre. L’auteure joue avec le lecteur qui parfois ne sait pas où est la frontière entre la réalité et les visions du narrateur, alors qu’il se demande quel est le meurtrier.La mort rôde, alors que les vieilles légendes surgissent à travers les hallucinations des voyageurs affamés. La nature humaine est disséquée dans son ambiguïté, les monstres ne sont pas ceux qu’on croit, et le cadre historique sert un récit fascinant pour un périple sur une île où des entités plus anciennes que les hommes resteraient tapies dans l’ombre de la forêt.En ce qui me concerne, une très belle découverte.Autres chroniques dans la blogosphère : FeydRautha, Lutin, Le nocher des livres, L’Ours inculte, Les Chroniques du Chroniqueur, Just A Word, Boudicca, CélineDanaë, […]

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