Protectorats – Ray Naler

Après avoir eu les honneurs du Bifrost pour 3 nouvelles, Ray Naler se voit publier dans la collection Quarante-Deux des éditions Le Bélial avec le recueil de nouvelles Protectorats. Ce recueil existe uniquement en France et n’a pas d’équivalent dans le monde anglo-saxon, où les nouvelles de l’auteur ont été publiées dans des revues ou des mensuels. Les anthologistes ont choisi l’agencement des 14 textes formant ce livre de manière à faire ressortir la cohérence de leur univers commun. Les textes sont liés entre eux, certains plus que d’autres, et se déroulent dans un univers uchronique. Protectorats est ainsi un fix-up de 14 nouvelles auxquelles s’ajoute une introduction par Ellen Herzfeld et Dominique Martel, et une bibliographie signée Alain Sprauel.

Quelques mots sur l’univers développé par l’auteur avant de parler des textes. Le monde a été bouleversé à jamais par le crash en 1938 d’une soucoupe volante. L’étude de la technologie présente sur cette soucoupe a changé le cours de la Seconde Guerre Mondiale, qui a duré plus longtemps, et a continué avec un front russe. Les développements technologiques et scientifiques ont été fortement impactés par ces découvertes. Des androïdes ont été créés, des sauvegardes de personnalité humaine permettent le transfert dans des enveloppes humanoïdes appelées « vacants », elles peuvent même se faire vers d’autres planètes. Ray Naler développe tout ceci à travers ses nouvelles se déroulant à plusieurs époques, proches ou très éloignées de la découverte du vaisseau extraterrestre. Dans cet univers, il existe des protectorats et beaucoup d’histoires se déroulent dans celui d’Istanbul. D’autres auront pour cadre une lointaine planète, et parfois les USA.

Ray Naler a construit un univers solide et cohérent, en détaillant les répercussions premières de la découverte de la soucoupe. Il a développé de nombreux concepts technologiques sans mettre de côté ses personnages et les thématiques. Chaque nouvelle prise seule est un plaisir de lecture, et s’intègre parfaitement avec les autres, emmenant une pierre à l’édifice de l’univers. Protectorats est ainsi un recueil parfaitement bien construit, écrit, où chaque nouvelle a son rythme propre, son ambiance particulière, ses thèmes développés. C’est incontestablement une grande réussite.

Les textes:

Mélopée pour Hazan: le texte se déroule dans le Protectorat d’Istambul, et suit le récit du professeur Baris Burakgazi. Celui-ci était un proche du professeur Hazan avec qui il travailla de nombreuses années au sein d’un institut de recherche. Ils vont travailler sur le connectome, un tissu artificiel où l’on peut momentanément charger la conscience d’un individu. La nouvelle parle de l’exploration du passé par la technologie, de la science et ses possibles dangers. Hazan est un personnage plutôt détestable, mais le narrateur permet de prendre du recul.

Mutabilité: dans un futur lointain, un homme se rend tous les jours dans un café où il va rencontrer une femme. Celle-ci lui fait part d’un fait étrange, elle a une photo d’eux deux mais à une époque passée. Le texte est bien écrit et on se laisse porter par l’histoire.

Père: sans doute la plus belle nouvelle du recueil. Elle a été publiée dans le bifrost n°105 et a obtenu à juste titre le prix des lecteurs Bifrost 2022 catégorie nouvelle étrangère. Aux États-Unis, dans le milieu des années 50, le Bureau des Vétérans organise une loterie pour les enfants dont le père a été tué lors de l’une des guerres. Les gagnants recevront un robot abritant l’esprit de leur défunt père. Le texte raconte l’histoire d’un petit garçon de 7 ans qui va ainsi partager 6 mois de sa vie avec ce robot si particulier. Le récit est très émouvant, on s’attache à ce petit garçon et au robot. Il y est fait mention de la découverte de la soucoupe en 1938 et de la guerre contre les russes qui a eu lieu après 1945.

Les Boucles de désintégration: dans les années 50, Sylvia Aldstatt fait partie des vétérans de la guerre. Elle a la particularité d’être la seule personne capable d’utiliser une technologie révolutionnaire utilisée par les services de l’OSS, les boucles. Cette technologie (conséquence de la soucoupe) permet d’interroger les derniers souvenirs des victimes de crime lorsqu’elles sont mortes. Cependant, les souvenirs peuvent être amenés à changer et sont de moins en moins fiables et importants au fil du temps. L’interrogatoire d’une victime va entrainer Sylvia dans une affaire d’espionnage international. La dimension enquête et espionnage est vraiment plaisante à découvrir, tout en étant mêlée à une technologie à la fois fascinante et dangereuse.

Une fusée pour Dimitrios : ce texte fait suite au précédent, mais peut-être lu indépendamment. On retrouve les deux mêmes personnages principaux en 1958 quelques mois après l’histoire précédente. Sylvia Aldstatt et Alvin, son supérieur à l’OSS, sont envoyés sur les rives du Bosphore dans le Protectorat d’Istanbul pour enquêter sur le fait qu’un autre vaisseau spatial serait tombé sur Terre en même temps que le premier. Le cadavre de Dimitrios Makropoulos, un criminel grec a été retrouvé. Ce dernier voulait vendre l’emplacement du second OVNI, information d’une importance capitale qui pourrait remettre en cause l’ordre du monde et la puissance américaine. Ray Naler continue de développer son univers en mettant au premier plan des personnages féminins dont il change le rôle historiques comme Hedy Lamarr et Eleanor Roosevelt. C’est à nouveau brillamment écrit avec une dimension espionnage fort bien amenée. Un des meilleurs textes du livre.

Les Yeux de la forêt : cette fois direction l’espace et une colonie humaine sur une planète lointaine couverte d’une immense forêt. Les descriptions de la nature sont particulièrement saisissantes. Les humains ont été forcés de vivre enterrés dans des grottes aménagées car la forêt est très dangereuse. Seuls quelques individus formés pour cela peuvent aller dans la nature, grâce notamment à des combinaisons protectrices. Le texte suit Sedef, jeune apprentie, ainsi que sa formatrice lors d’une sortie en territoire hostile. Le parcours de Sedef est vraiment passionnant à découvrir, l’idée du danger venant de l’environnement qu’on ne comprend pas est très bien exploitée.

Sarcophage :Dans un future lointain, l’humanité est partie explorer l’espace, et est parvenue à créer des copies informatiques des esprits pour les remettre dans un nouveau corps à la mort de celui-ci. Le narrateur est le seul survivant d’une expédition sur une planète hostile. Il doit atteindre une base susceptible de lui sauver la vie, mais la batterie de son scaphandre commence à s’épuiser. Sur le chemin, il aperçoit une silhouette particulièrement inquiétante. Le texte est très immersif, les paysages glacés sont magnifiquement décrits et Ray Naler a soigné l’ambiance de la planète. La solitude de l’homme accompagnée de ce monde désertique et glacé créent une atmosphère particulièrement prenante et angoissante.

L’Hiver en partage : Certaines personnes, par le biais d’une technologie nommée « les vacants », peuvent échapper à la mort et revenir posséder d’autres corps. Cette technologie n’est pas possible pour tous, et créé des mécontentements. Deux femmes se retrouvent tous les hivers pour quelques semaines de vacances et retournent ensuite dans leur bloc respectif. L’ambiance est très soignée, et l’histoire émouvante.

Retour au Château Rouge: futur lointain, une jeune femme a participé à une mission sur une planète glaciaire (sans doute la même que dans Sarcophage). Elle revient sur Terre des années après et tous les gens qu’elle connaissait sont morts. Elle est dans un vacant (un corps nouveau occupé par une personne dont on a téléchargé la conscience). Elle va essayer de retrouver l’androïde qui s’est occupée d’elle pendant ses études. Mais la situation sur Terre a changé et les androïdes sont très mal vus. La nouvelle parle de l’importance de la mémoire, du passé et des liens que l’on créé.

Le Réparateur de moineaux: un jeune homme a l’habitude de nourrir les moineaux tous les matins. Un jour il en trouve un blessé et l’amène chez le vétérinaire pour le faire soigner. Mais cette découverte va bouleverser sa vie. L’auteur continue à développer brillament le concept de transfert de conscience.

La Mort de la caserne de pompiers n° 10 : dans un avenir lointain, les intelligences artificielles sont partout et les bâtiments ont des personnalités pour prendre soin des humains et du monde qui les entoure. Le texte s’intéresse plus particulièrement à la destruction de la caserne de pompiers n°10. La nouvelle s’intéresse ainsi à la notion du vivant, de l’humain, de la conscience.

Les Enfants d’Evrim : on repart dans l’espace avec une mission pour une planète à coloniser. A bord du vaisseau Fram se trouvent la jeune Mae et le robot Evrim. Ce dernier va expliquer à Mae son passé, et ce qui est arrivé avant sa naissance. En peu de pages, l’auteur nous immerge dans cette histoire, une des plus réussies.

La Pluie des jours: dans le futur, une femme essaye de se remettre du décès de sa concubine à travers une thérapie. Le texte parle des souvenirs, des liens et de la guérison.

Les Hirondelles de papier : deux scientifiques s’intéressent à une série de morts mystérieux ( animaux ou humains) à travers le globe. Ils vont tenter en vain de prévenir l’humanité en leur présentant leur théorie concernant la destruction de la planète par les humains. L’auteur aborde l’écologie avec ce texte fort réussi.

Protectorats est un recueil magistral qui permet de découvrir un auteur talentueux qu’on espère lire à nouveau. On ne peut que souligner la qualité éditoriale de cet ouvrage et la manière dont les nouvelles sont agencées, formant ainsi un fix-up. Chacun des textes a un intérêt particulier, une ambiance propre, mais mis ensemble ils offrent un univers passionnant, uchronique et qui évolue sur de nombreuses années.

Autres avis: Outrelivres, Feydrautha, Just a word,

Auteur : Ray Nayler

Éditions: Le Bélial’

Éditions: Le Bélial’ collection Quarante-Deux

Traduction : Henry-Luc Planchat

Recueil de quatorze nouvelles uchroniques ou dystopiques abordant les sujets du voyage dans le temps, du conflit entre religion et avancées technologiques, des extraterrestres et de la projection de la conscience humaine extracorporelle, entre autres.

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