Jardins de poussière de Ken Liu

Jardins de poussière est un recueil de 25 nouvelles de Ken Liu, paru en 2019 aux éditions du Bélial’ dans la collection Quarante-deux. La sélection des textes a été faites par Ellen Herzfeld et Dominique Martel. La traduction est assurée par Pierre-Paul Durastanti. La même équipe avait été à l’origine du très beau recueil La Ménagerie de papier du même auteur en 2015. Ce recueil était depuis longtemps dans ma PAL et je me suis décidée à l’en faire sortir courant janvier. J’ai mis un peu de temps à le terminer mais je ne regrette pas de l’avoir mis en haut de la PAL.

Les textes de ce recueil sont nombreux et appartiennent à plusieurs sous-genres de l’imaginaire: de la science-fiction, du silkpunk, du steampunk, de l’uchronie. Certains textes se répondent ou ont des thématiques communes. Les textes sont aussi de longueur assez différente. Les nouvelles présentent ainsi une grande variété mais l’ordre du sommaire leur confère une certaine logique de lecture. Tous ont en commun une écriture empreinte de sensibilité très bien rendue par la traduction.

Parmi les thématiques abordées dans ce livre, on note le souvenir et l’importance de la transmission que l’on retrouve dans plusieurs textes. Dans Imagier de cognition comparative pour lecteur avancé, il est question d’une mère partie pour un voyage spatial et qui a conçu un livre pour sa fille, elle lui transmet ainsi des images d’extraordinaires civilisations extraterrestres. Souvenirs de ma mère (précédemment parue dans le N°91 de la revue Bifrost) parle de la relation particulière entre une mère et sa fille. Le Jardin de poussière parle de la création de souvenirs par l’art à bord d’un vaisseau spatial bloqué sur une planète où il s’ensable. Jours fantômes illustre aussi cette thématique avec un récit sur 3 époques : futur lointain, 1989 et 1905. On y parle d’êtres génétiquement modifiés pour s’adapter sur une planète et de la question de conserver ou non le souvenir du passé des humains. Il est ainsi question de la transmission de la culture. Thème que l’on retrouve traité avec un peu d’humour dans Le Fardeau, dans lequel un jeune couple étudie les mythes de la planète pour laquelle ils sont partis. Une Brève Histoire du Transpacifique évoque la construction d’un tunnel dans l’Océan Pacifique pour relier l’Asie à l’Amérique. Un ancien ouvrier ayant travaillé sur ce projet se souvient de ce qu’a réellement été la construction. Dernière Semence, en parlant de la fin de l’aventure spatiale, évoque la tentative de laisser un souvenir de notre planète.

Plusieurs nouvelles parlent aussi des modifications du monde et de ce qu’elles entrainent sur les gens. C’est le cas notamment dans Bonne chasse, certainement mon texte préféré de ce livre et qui a fait l’objet d’une adaptation dans la série Love, death and robots sur Netflix. La nouvelle se déroule à Hong Kong qui va se retrouver complétement bouleverser par l’arrivée des anglais. Ces changements auront des conséquences sur tout ce qui était magique dans le monde d’avant. Un texte magnifique et profondément juste et bien écrit. Les deux nouvelles Rester et Ailleurs, très loin de là, de vastes troupeaux de rennes se déroulent dans le même univers et racontent le destin de personnages confrontées à une technologie révolutionnaire où les humains peuvent être « uploadés » dans des machines. Vient alors le questionnement de savoir si on le veut ou non et si on peut ou non y échapper. Dans Messages du Berceau : L’ermite – Quarante-huit heures dans la mer du Massachusetts ce sont les changements climatiques qui sont abordés avec les impacts sur les populations. Moments privilégiés, en parlant de la parentalité évoque les nombreux changements provoqués dans une vie par les enfants et les adaptations possibles de la technologie pour essayer de rendre les choses plus simples. Sept anniversaires est un texte que l’on trouvait dans le premier hors-série de la collection Une heure-lumière et a pour thème le transhumanisme. La nouvelle expose sept anniversaires différents de Mia depuis ses 7 ans jusqu’à un lointain avenir, infiniment lointain. La nouvelle commence assez « normalement » avec les 7 ans d’une petite fille marquée par la séparation de ses parents et le travail omniprésent de sa mère. Puis, au fil des anniversaires de Mia en 7 dates, on suit les évolutions de la société et de la vie sur Terre dans un futur de plus en plus éloigné. Il est question de relation parents et enfants, d’écologie, de progrès technologiques, d’avenir et d’humain dans des états différents. Tout cela dans le style de Ken Liu avec de l’émotion, une grande fluidité et une justesse des mots.

Autre thématique que l’on retrouve au travers de certains textes, le questionnement sur l’identité, et la quête d’identité. Cela est particulièrement marquant dans Animaux exotiques qui met en scène des « chimères » créées en mélangeant du matériel générique humain à celui de divers animaux. Le récit suit un de ces êtres et sa quête pour vivre normalement. Le texte s’interroge sur la notion d’humanité de très belle manière. Un texte magnifique. Dolly, la poupée jolie parle d’une petite fille qui a eu une poupée enfant, une poupée dotée d’une IA et s’interroge sur ces IA capables de ressentir des émotions. Vrais visages parle d’un problème de société très actuel : les discriminations à l’embauche. Un masque permet de rendre anonyme les gens en leur enlevant les notions de race et de genre. Mais cela peut avoir des conséquences inattendues. Le sujet est traité avec beaucoup de nuances et suscite pas mal de réflexions.

Jardins de poussière montre ainsi à quel point Ken Liu est un auteur extrêmement doué pour le format court. Ces nouvelles abordent de nombreuses thématiques traitées avec nuances et émotions. Le recueil contient plusieurs bijoux que l’on pourra lire et relire avec toujours autant de plaisir.

Autres avis: Le syndrome Quickson, nevertwhere, L’épaule d’OrionFourbis et Têtologie, Les lectures du Maki, Justaword

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Auteur : Ken Liu

Traducteur : Pierre-Paul Durastanti

Éditeur :  Le Bélial’, collection Quarante-deux

Publication : 21 Novembre 2019

« Les yeux fermés, j’imagine les photons rebondissant entre les particules de poussière. J’imagine leurs chemins sinueux le long du dédale de surfaces vives, les pièges, les impasses, les culs-de-sac, les chausse-trappes. J’imagine Cigale qui accomplit sa rotation sous les étoiles, modifiant l’angle des rayons du soleil sur les panneaux. J’imagine les couleurs, changeantes, chatoyantes. Une nouvelle façon de voir… » Jardins de poussière est le deuxième recueil de nouvelles de Ken Liu à voir le jour en français. Sans équivalent en langue anglaise, réunissant vingt-cinq récits pour l’essentiel inédits, il célèbre un talent majeur et singulier à son sommet — un phénomène.

Cette chronique fait partie du projet Ombre

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