Vie™ – Jean Baret

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La trilogie Trademark de Jean Baret est un peu particulière. En effet, les différents tomes sont complétements indépendants et mettent en scène des personnages et des univers différents. Le premier tome, BonheurTM, paru en septembre 2018, s’intéressait au phénomène d’hyper-consommation. Vie™ traite de l’aspect du virtuel de nos sociétés et sur l’incessante répétition de nos journées.

Cette chronique a été écrite sur mon temps de loisirs et décompté de celui-ci. J’ai bien essayé de la faire passer sur le temps de travail mais ça ne correspondait pas. Ainsi tous mes temps d’amitié, d’amour et de loisirs ont été utilisés correctement cette semaine. J’ai également consommé récemment. Le grand prophète sera ainsi fier de moi.

Pour vous expliquer clairement l’univers dans lequel se déroule Vie™, j’ai fait appel à une de ses habitantes, Barbara Goule à qui je laisse la parole : « Barbara Goule est un super pseudo non? Mon véritable nom est X46Z911924E624, mais Barbara c’est plus simple à retenir. Mon matricule est tatoué sur mon front comme un code barre, comme tout le monde en fait. Question look? Oh j’ai le même que tout le monde, aucune pilosité (c’est très laid de toute façon), comme ça tout le monde est pareil, pas de jalousie. Comme tout le monde aussi, j’habite dans ma boite à moi et j’ai mon hub perso très bien décoré. J’ai un super TED, mes augmentations que je mets sur mes yeux et mes oreilles dès que je me réveille et mon super fauteuil. Pardon, vous ne savez pas ce qu’est un TED? Je me demande comment vous pouvez vivre sans à votre époque. Alors, c’est une cuve régénératrice où je dors et qui me nourrit, me soigne, et m’évite même d’aller aux toilettes. C’est du temps de gagné pour tout le reste! »

Barbara Goule a du s’interrompre quelques moments, le temps d’utiliser son temps d’amour m’a t’elle dit avec un certain Georges Bouche, je crois, pour lequel elle a utilisé des prothèses spécialement faites pour cela. Aucun contact physique n’a eu lieu entre eux! Ensuite, Barbara a du aller effectuer son temps de travail quotidien afin d’avoir assez de crédits, elle trie des nuanciers, il me semble. Cela l’occupe 8 heures par jour, scrupuleusement décompté comme tous les autres temps dont elle dispose. Mais, laissons à nouveau la parole à Barbara qui a pris sur son temps de loisirs pour nous parler : « Me revoilà. Excusez moi mais le travail c’est le travail, on ne peut pas y déroger, vous savez. Je mets un point d’honneur à utiliser tous mes temps disponibles (loisirs, amitié, amour) et à ne pas être débiteur. J’ai passé ma pause sur Get a Life™ où j’ai rencontré Georges et de fil en aiguille, vous savez ce que c’est. On a fêté son badge parce qu’il avait bien travaillé. Mon amie tarifée Angelina Polie s’est jointe à nous ainsi que Brave Type. On a regardé des infomercials et des reconstitutions hystériques sur votre époque, puis des sexfies d’amis, puis on a utilisé nos temps d’amour. Je crois que Angelina est allée sur Mars après ou Pluton, je ne sais plus trop, Brave est allé faire un tour au pays des lutins et Georges est parti en Égypte antique voir un Dieu du chaos je crois bien. Enfin tout le monde s’est amusé, c’était fun. Maintenant si vous n’avez plus besoin de moi, je vais aller m’allonger dans mon TED pour être en forme pour refaire la même chose demain, plein de supers loisirs, d’amitié, d’amour… »

Pour cette chronique, Barbara Goule s’est gentiment prêtée au jeu d’un entretien mais pour son roman, Jean Baret s’est servi d’un certain X23T800813E616 surnommé Sylvester Staline. Contrairement à Barbara, Sylvester n’est pas heureux, quelque chose cloche dans la vie de Sylvester au point que tous les soirs, il se tire une balle dans la gorge. Le système met plusieurs choses en place pour que le pauvre Sylvester retrouve la forme et les muscles: un algorithme de bonheur, des antidépresseurs, un séminaire nihiliste afin d’étancher sa soif de compréhension. Là, c’est la grande révélation, Sylvester a trouvé sa voie, il se pense investi d’une mission et devient prophète nihiliste. Et puis de toute façon, ce n’est pas comme si Sylvester en avait quelque chose à foutre!

Jean Baret reprend le même principe de la caricature que dans BonheurTM. Afin de dénoncer les travers de nos sociétés, il utilise les mêmes procédés. La cible n’est pas la même, mais les moyens oui : la répétition des mêmes gestes tous les matins et soirs, l’humour noir, des traits de noirceur sur le comportement humain, le tout poussé à outrance. Les répétions sont mieux dosées que dans BonheurTM et la lecture est ainsi plus agréable. Certains passages du roman font sourire voire rire, mais d’autres font froid dans le dos, tant on reconnait dans l’univers décrit notre monde, nos habitudes de plus en plus virtuelles, nos journées souvent répétitives. Les questionnements de Sylvester nous semblent familiers, tout comme son envie d’aller mieux, de vouloir changer les choses. Le monde décrit par le grand prophète a somme toute peu de chances d’être notre futur. Le réchauffement climatique et les denrées de plus en plus rares auront changé la donne d’ici là. On voit ainsi que son but n’est pas de nous présenter dans ses 2 romans un futur plausible à plus ou moins long terme, mais bien d’utiliser notre temps de cerveau disponible pour nous pencher sur nos sociétés modernes et leurs dérives. Sur ce, je pense avoir utilisé assez de temps de cerveau et de loisirs et il me faut donc conclure en espérant que vous aurez apprécié le temps que Barbara Goule a bien voulu nous accorder.

Avec Vie™, Jean Baret porte un regard lucide sur notre monde moderne et tout ce qui fait le quotidien humain que ce soit le travail, les amis, ou les loisirs. Les protagonistes du roman ont abandonné toute volonté, tout combat au profit de la satisfaction de leurs loisirs et amours. Alors, certes c’est parfois très cru, tout y est poussé à l’extrême, mais est-ce si loin de ce que l’on peut voir actuellement? Vie™ apparait comme un miroir grossissant de notre société actuelle dans tout ce qu’elle peut avoir d’individualiste et de virtuel. Et en cela, le roman est brillant et parfaitement réussi.

Autres avis: Le chien critique, FeydRauthaChut maman lit, Le chroniqueur, Gromovar, Touchez mon blog, Le Bibliocosme

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Auteur: Jean Baret

Éditeur : Le Bélial’
Parution : 19/09/2019

Sylvester Staline, citoyen X23T800S13E616, tourne des cubes colorés. Un boulot qui en vaut bien un autre, au fond, et qui a ses avantages. Son compte en banque affiche un solde créditeur de 4632 unités. Et si son temps de loisirs mensuel est débiteur de huit heures, son temps d’amitié restant à acheter est dans le vert. Sans même parler de son temps d’amour : plus de quarante-trois heures ! Une petite anomalie, c’est sûr ; il va falloir qu’il envisage de dépenser quelques heures de sexe… Mais de là à ce qu’un algorithme du bonheur intervienne ? Merde ! À moins que cela ait à voir avec cette curieuse habitude qu’il a de se suicider tous les soirs ? Il n’y a jamais trop songé, à vrai dire… Sylvester ne le sait pas encore, mais il pourrait bien être le grain de sable, le V de la vendetta dans l’horlogerie sociale du monde et ses dizaines de milliards d’entités. D’ailleurs, les algorithmes Bouddha et Jésus veillent déjà sur lui…

29 commentaires

  1. Je me demande si ce genre de roman me convient ou pas.
    ta critique, superbe au demeurant, ne m’aide pas à éclaicir ce point car tu donnes envie de lire le dit roman.
    Mon troll, tu mérite un coup de marteau!

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