Bonheur TM- Jean Baret

Couve Bonheur

Avez-vous consommé aujourd’hui ? Question simple à laquelle Jean Baret répond dans ce roman qui est le premier d’une trilogie. Mais une trilogie un peu particulière, puisqu’elle met en scène trois univers différents, avec des personnages différents. Les deux autres tomes devraient s’appeler Vie[TM] et Mort[TM] et seront lisibles indépendamment et dans l’ordre que l’on souhaite. Le numéro 91 de Bifrost proposait une nouvelle intitulée Trademark en guise d’avant-goût et permettait de présenter l’univers du roman.

Avez-vous consommé aujourd’hui ?

Bonheur [TM] présente une société futuriste où la seule règle est de consommer encore et toujours, toujours plus. La liberté dans ce monde est totale, chacun peut faire ce qui lui plait, vraiment tout, c’est même son droit le plus total, du moment qu’il consomme encore et toujours. Tous les matins, la phrase « avez-vous consommé aujourd’hui » s’affiche dans les logements et il faut penser à vérifier quotidiennement si on a assez consommé. On peut même consommer de l’argent que l’on n’a pas et emprunter à outrance, mais pas avoir d’économies. Il faut faire tourner l’économie et consommer. À tel point, que les gens n’ont plus de véritables noms mais portent le nom de leur sponsor avec le logo correspondant marqué sur leurs vêtements.

Les deux personnages principaux s’appellent ainsi Toshiba et Walmart et exercent la profession de chasseurs d’idées. Leur travail consiste à éplucher des dossiers pour vérifier que tout un chacun consomme bien comme il faut, et à traquer les fraudeurs qui ne font pas leur devoir de consommateur. Au cours d’une de leurs enquêtes, ils vont trouver un étrange complot destiné à mettre en danger la société de consommation. L’intrigue est assez simple mais ce n’est pas ce qui est marquant dans ce roman. L’important est la description d’un monde qui ressemble au notre par certains points, et qui fait penser à ce que nos sociétés pourraient devenir en peu de temps. Et franchement, ça fait peur, vraiment froid dans le dos. Le Bélial définit le roman comme : « roman coup de poing visionnaire et syncopé aussi hilarant qu’effrayant, il nous offre le miroir à peine déformé de nos sociétés modernes en bout de course : rien moins qu’une révolution. ». Et cette phrase définit parfaitement le roman si ce n’est que j’ai plus été marqué par le côté effrayant.

Avez-vous consommé aujourd’hui ?

La société dépeinte par Jean Baret est marquante par plusieurs aspects. La violence y règne en maître, et personne ne semble plus avoir aucun sentiment, agissant pratiquement comme des robots. Chacun peut agir comme bon lui semble et vouloir appartenir à telle catégorie, transhumain, netrunner, surhumain ou encore U-men et se transformer physiquement pour cela. Tout est possible et favorise même la consommation. La consommation à outrance est la seule règle.

Pour illustrer son propos, l’auteur utilise très souvent des listes de gens ou de choses, la répétition des slogans, des journées qui sont toujours les mêmes, encore et encore, un peu comme si on était dans Un jour sans fin, mais sans aucune possibilité d’en sortir. Cette répétition du quotidien provoque un véritable engourdissement des masses qui ne se rendent compte de rien et pensent vivre dans une société parfaite où ils bénéficient d’une liberté totale et possèdent tout ce qu’ils désirent à défaut de ce dont ils ont besoin. La culture y est totalement proscrite, comme tout ce qui est considéré comme une perte de temps, les promenades ou tout ce qui n’est pas voué à faire marcher l’économie. La critique de notre société de consommation est bien présente et pousse à la réflexion sur notre manière de vivre et d’acheter. La société dépeinte peut être parfois drôle tant elle est excessive mais elle est surtout écœurante car plus rien n’a de sens, plus personne ne ressent rien, plus personne ne pense par lui-même, plus personne n’a de libre arbitre.

Le roman est suivi d’une postface signée Dany-Robert Dufour, philosophe qui a travaillé sur les sociétés occidentales et le fait de toujours vouloir posséder de plus en plus de biens. Le philosophe est d’ailleurs cité dans le roman qui est une parfaite illustration de ses propos. L’auteur, dans cette trilogie, a la volonté de s’interroger sur le sens de la vie. Ce premier tome illustre la recherche du bonheur par la consommation et la liberté.

Bonheur [TM] est donc un roman brillamment construit dans le but de faire réfléchir sur nos modes de vie et de mettre en avant les travers de la surconsommation. Ce récit ne peut laisser personne indifférent tant la plongée dans notre monde à travers l’anticipation est glaçante. Car c’est notre monde que l’on voit sous ce filtre. Et surtout, avez-vous consommé aujourd’hui ?

Autres avis: Yogo, Les chroniques du chroniqueur , Dionysos

bonheur2

Auteur: Jean Baret

Éditeur : Le Bélial’
Parution: 13/09/2018

Demain. Quelque part dans la jungle urbaine… Il ouvre les yeux. Se lève. Y a du boulot… « Avez-vous consommé ? » Il contemple l’hologramme aux lettres criardes qui clignotent dans la cuisine sans parvenir à formuler la moindre pensée. « Souhaites-tu du sexe oral ? » La question de sa femme l’arrache à sa contemplation. Il réfléchit quelques secondes avant de refuser la proposition : il a déjà beaucoup joui cette semaine et il n’a plus très envie. Sans oublier que le temps presse. Sa femme lui demande de penser à lui racheter une batterie nucléaire. Une Duracell. Il hoche la tête tout en avalant son bol de céréales Weetabix sur la table Microsoft translucide qui diffuse une publicité vantant les mérites d’une boisson caféinée Gatorade propice à l’efficacité. Il se lève, attrape sa femme, lui suce la langue pendant de longues secondes, puis enfile sa veste Toshiba – son sponsor de vie – et se dirige vers la porte. Dans le ciel encombré, sur les façades des tours, sur le bitume, ou simplement à hauteur d’homme, des milliers d’hologrammes se déplacent lentement au gré de courants invisibles au cœur des monades grouillantes. Flic. Section des « Crimes à la consommation », sous-section « Idées ». Veiller à la bonne marche du monde, telle est sa mission. Autant dire que la journée promet d’être longue.

 

 

 

41 commentaires

  1. Super chronique. Je ne doute pas que ce soit un roman intelligent, seulement voilà, j’ai complètement bloqué sur le style des quelques pages de la nouvelle Trademark (je n’ai même pas réussi à la finir, c’est tout dire), et je ne me vois pas re-signer pour des centaines de pages, encore moins pour une trilogie.

    Aimé par 2 personnes

  2. Je l’ai fini la semaine dernière et il m’a bien fait flipper aussi mais je ne serai pas aussi enthousiaste que toi ou Dionysos (qui dit que j’ai mauvais goût ^^) J’ai trouvé le cadre hyper intéressant mais je n’ai eu aucune empathie pour les personnages et le style m’a parfois rebuté.

    Aimé par 2 personnes

  3. OK, je crains que cela ne soit vraiment pas pour moi. Je vais passer.
    Et j’ai consommé quelques poireaux aujourd’hui, 2 cèpes que nous avons cueilli dans les bois, et des paupiettes de porcs, quelques pâtes, des mandarine et un peu de pain. J’ai tout bon ?

    Aimé par 1 personne

  4. […] Ce qu’on en dit: « BonheurTM est donc un roman brillamment construit dans le but de faire réfléchir sur nos modes de vie et de mettre en avant les travers de la surconsommation. Ce récit ne peut laisser personne indifférent tant la plongée dans notre monde à travers l’anticipation est glaçante. Car c’est notre monde que l’on voit sous ce filtre. Et surtout, avez-vous consommé aujourd’hui ? » Au pays des cave trolls […]

    J’aime

Laisser un commentaire