Le Horla de Guy de Maupassant: 2 versions pour une nouvelle

maupassant

Guy de Maupassant ne fut pas seulement un écrivain réaliste, il a produit un grand nombre de nouvelles fantastiques regroupées dans cette édition. Une de ses nouvelles fantastiques les plus connues est sans doute Le Horla, écrite en 1887. Cependant, il existe deux versions de ce texte, une courte publiée en 1886 et celle plus connue, écrite sous forme de journal en 1887. Ces deux versions racontent la même histoire mais sont pourtant foncièrement différente. La genèse du Horla vient d’un tout premier texte écrit par Maupassant en 1885, Lettre d’un fou, racontant la confession d’un homme craignant pour sa santé mentale. La folie est un thème assez courant chez Maupassant (il meurt d’ailleurs en 1893 après avoir sombré dans la folie causée par la syphilis). Le fantastique utilise souvent le doute causé par l’apparition du surnaturel comme ressort narratif et cadre ainsi avec le thème de la folie.

Deux versions et deux interprétations différentes

La première version du Horla est publiée en 1886 dans Gil Blas, tandis que la seconde est beaucoup plus longue parait en 1887 dans un recueil de nouvelles. Les deux histoires sont les mêmes: un homme d’une quarantaine d’années habite seul une maison proche de la Seine. Peu à peu, il semble victime d’une étrange maladie dont les symptômes sont de la fièvre, des changements d’humeur, une grande fatigue et la sensation que quelqu’un d’invisible se trouve proche de lui buvant peu à peu sa vie. On retrouve les mêmes évènements dans les 2 versions, avec un peu plus d’évènements dans la seconde version. La grande différence entre les 2 vient de la narration: la version de 1886 est racontée par quelqu’un d’extérieur, un aliéniste à qui l’homme est venu se confier tandis que la version de 1887 est racontée par l’homme lui-même sous forme de journal.

Juste en changeant le mode de narration, les deux nouvelles sont totalement différentes. Dans la première version, on a un narrateur externe. L’aliéniste, témoin de ce qui se passe, doute complétement et invite des confrères à écouter l’histoire d’un de ses patients. L’aliéniste ne sait pas quoi penser de tout ce qui arrive et en vient à douter de la folie de son patient devant plusieurs preuves: les mêmes symptômes ont été décrits au Brésil par plusieurs personnes et le patient a vu un bateau en provenance du Brésil passer devant sa maison, ses employés de maison étant également victimes tout comme lui. Maupassant instille ainsi le doute peu à peu mais la conclusion de cette version tend vers l’existence de la créature, Le horla, une sorte de vampire psychique invisible se nourrissant des hommes. Le horla est une créature contre laquelle les hommes ne peuvent rien, implacable et dangereuse, thématique qui rappelle un certain écrivain de Providence, tout comme les questionnements sur la santé mentale. Pour l’anecdote, le vampire stellaire, créature de Robert Bloch, un des prolongateurs de l’œuvre de Lovecraft, semble assez proche du horla

La seconde version est un journal intime raconté par l’homme directement (son nom n’est donné dans aucune des deux versions). Les événements sont sensiblement les mêmes, l’ordre dans lequel ils se produisent changent légèrement. L’apparition du bateau brésilien est au tout début du texte, ce qui peut être vu comme une des causes de la folie du narrateur ou tout du moins un des déclencheurs. Il y a un passage en plus sur l’hypnose, et le narrateur quitte parfois sa propriété qui semble être le siège de sa folie. Personne d’autre n’est témoin de ce qui arrive au narrateur. Il lit dans un journal qu’il y a une épidémie de folie au Brésil et fait le lien avec ce qui lui arrive. Peu à peu, le narrateur sombre dans la folie, est victime de crises hallucinatoires et perd complétement pied. Même, si on doute parfois, cette version tend clairement vers la folie du narrateur. La première version appartient ainsi vraiment au genre fantastique: on ne peut savoir si le patient est fou ou si le horla existe réellement. Tandis que la seconde version est une description d’un homme qui sombre peur à peu dans la démence.

Deux versions et deux mécaniques de la peur

Ce qui est frappant à la lecture de ses deux versions c’est que même si leur interprétation diffère, toutes les deux entrainent la peur chez le lecteur et de deux manières bien distinctes. La nouvelle de 1886 joue sur les ressorts de la peur d’une créature extérieure à l’homme, une créature invincible et invisible qui se nourrit de la vie des hommes peu à peu dans leur sommeil. Le horla apparait un peu comme un vampire spectral, volant la vie et la santé mentale de sa victime. Les scènes décrivant les actions du horla sont très bien faites, jouant sur l’intensité et l’apparition de phénomènes inexplicables. Le horla est invisible mais peut toucher et attraper des objets. De plus, le phénomène semble se répandre, affectant d’abord un pays lointain, puis peu à peu de plus en plus de monde.

Le texte de 1887 est une description de la folie qui s’empare de quelqu’un, d’un homme sain d’esprit qui bascule peu à peu dans la démence, la paranoïa, les crises hallucinatoires. La description de cette folie est très réaliste car Maupassant en fut victime lui-même. Le texte est empreint d’un propos très réaliste et presque biographique. L’auteur fut victime d’hallucinations et voulut se suicider suite à cela. Cette peinture de la folie est proprement glaçante surtout quand on sait qu’elle est proche de la réalité. La maison où se déroule l’histoire est d’ailleurs celle de Flaubert à Biessard en bord de Seine. Dans cette version, Maupassant utilise le thème du double assez courant dans la littérature fantastique. Le horla représente le narrateur, un double de lui même, sa part de folie, un être monstrueux qui prend de plus en plus de place et en vient à le remplacer. Le narrateur entend même la créature parler et lui donner son nom. Les images des hallucinations sont très réalistes et cela est presque plus troublant que l’existence d’une créature surnaturelle car on sait que cela peut arriver.

Les deux versions du Horla sont donc deux textes très différents malgré une histoire commune. Il faut lire les deux versions pour vraiment appréhender le talent de Maupassant et voir à quel point ses deux récits sont de véritables chefs-d’œuvre de la littérature.

 

 

25 commentaires

  1. Encore un chouette article qui donne forcément envie de relire ces deux versions. J’ai une préférence pour la première version, justement pour ce côté plus fantastique.
    La référence au vampire stellaire de Boch est bien vue. 😉

    Aimé par 1 personne

  2. J’en garde un bon souvenir, datant pourtant du collège. Je ne sais d’ailleurs pas si j’oserai un jour la relire, pour ne pas risque de gâcher ce souvenir. ^^
    Et j’apprends donc l’existence d’une deuxième version (ou d’une première en l’occurrence, vu que j’ai lu la version journal), merci pour la découverte.

    Aimé par 1 personne

Laisser un commentaire