On ne présente plus l’excellente collection Une heure lumière éditée par Le Bélial dont La ballade de Black Tom est la 13ème parution. Ce roman court à la superbe couverture signée Aurélien Police fait partie d’un courant littéraire reprenant ou s’inspirant de textes de Lovecraft mais en donnant une place plus importante aux femmes et aux personnes de couleur. On sait en effet le peu de cas qu’avait le maître de Providence pour eux.
La quête onirique de Vellitt Boe de Kij Johnson publiée également chez Le Bélial s’inscrivait dans ce même courant. Kij Johnson avait choisi comme support La Quête Onirique de Kadath L’Inconnue en ayant comme personnage principal une femme professeure d’université. Victor Lavalle a pour sa part choisi de mettre en cause le côté raciste de Lovecraft en partant d’un texte très controversé et un peu moins connu de l’écrivain, L’Horreur à Red Hook écrit en 1925. Cette nouvelle de H. P. Lovecraft a été écrite quand l’auteur a vécu à New York, ville qu’il a purement détestée. Lovecraft a vécu dans le quartier de Red Hook et son horreur pour la ville et ce quartier en particulier transparait dans la nouvelle de manière abjecte. Ce texte est un des plus odieux de l’écrivain où l’on voit son rejet de tout ce qui n’est pas comme lui. Le dégoût des grandes villes est presque palpable dans la nouvelle. Autre fait à savoir concernant ce texte, est qu’il ne s’inscrit pas dans le fameux mythe de Cthulhu, il y a des références occultes mais au culte de Lilith et on n’y parle pas de grands anciens.
Victor Lavalle, qui est un romancier noir américain vivant à New-York, a décidé de réécrire la nouvelle de Lovecraft à sa manière. Il s’agit bien de réécriture et non d’une inspiration, car on retrouve les mêmes événements ainsi que les mêmes personnages dans les deux textes. La trame générale est semblable, les recherches occultes de Robert Suydam, cependant Victor Lavalle a modifié le déroulement de certains faits et a fait de personnages très peu présents dans le texte de Lovecraft, des personnages centraux. Dans L’Horreur à Red Hook, des musiciens de rue et également des détectives sont mentionnés. Chez Victor Lavalle, le personnage principal est un musicien de rue et un dénommé M. Howard, un détective. D’ailleurs ce dernier a des opinions racistes fortement marquées et apparait comme plutôt détestable.
La ballade de Black Tom est divisé en deux parties: la première est consacrée à Charles Thomas Tester, tandis que la seconde s’attache plus particulièrement à l’inspecteur Malone. Charles Thomas Tester est une jeune homme noir vivant à Harlem avec son père. Il aime particulièrement la musique et se promène toujours avec un étui à guitare même s’il n’est pas particulièrement doué au chant. Il arrive à gagner un peu d’argent avec diverses petites magouilles. Il va faire la connaissance d’un étrange individu, Robert Suydam, un homme riche féru d’occultisme. Les héritiers de Suydam ont demandé deux hommes pour surveiller le vieil excentrique et éviter que sa fortune ne disparaisse avant sa mort: le détective Howard et le policier Malone. C’est là que le récit rejoint celui de L’Horreur à Red Hook consacré aux recherches ésotériques de Suydam qui abandonne sa belle maison pour aller vivre dans le quartier de Red Hook, plus propice à ses recherches.
La seconde partie du roman est un peu moins intéressante que la première. L’auteur prenait le temps d’installer un climat autour de la musique et de la magie et de nous présenter les lieux et les personnages. Au contraire le rythme s’accélère dans la seconde partie, où quelques détails supplémentaires sur les événements auraient été bienvenus. La transition entre les deux parties est un peu brutale. Malgré tout, cela ne nuit pas à l’histoire qui reste très prenante.
L’Horreur à Red Hook ne contenait aucune mention de grands anciens ou de quoi que ce soit à tentacules aimant passionnément les océans. La trame était très simple et la nouvelle assez courte. Victor Lavalle a choisi de changer cela et de rattacher son histoire à la mythologie de Lovecraft en parlant d’un « Roi endormi » rêvant de revenir dominer les humains. C’est vraiment une brillante idée qui renforce la puissance du récit.
Un autre point à souligner dans ce roman, c’est bien entendu ce qui a motivé son écriture, le racisme. Bien entendu, le choix de prendre pour personnage principal un homme noir n’est pas anodin. Cependant, on trouve dans le récit des faits qui sont à rapprocher de tristes faits divers se produisant malheureusement de nos jours encore aux États-Unis par exemple. L’auteur ouvre ainsi son propos en ne parlant pas que de ce problème chez Lovecraft et offre un récit vraiment glaçant, et pas vraiment à cause des tentacules mais à cause du comportement humain.
La ballade de Black Tom est donc une parfaite réussite. On peut apprécier sa lecture sans connaitre la nouvelle de Lovecraft. Cependant, on perd alors une dimension importante du texte. Le roman est vraiment bluffant par la réécriture de la nouvelle d’origine et par ses choix narratifs. Il est assez court mais aborde beaucoup de thèmes. Victor Lavalle arrive à rendre son récit particulièrement glaçant tout en le rattachant à la mythologie créée par Lovecraft et à la dépasser. C’est véritablement épatant!
Autres avis: Elbakin, Boudicca, Apophis, BlackWolf (VO), Lutin 82 (VO), Gromovar, l’épaule d’Orion
Auteur : Victor Lavalle
Publication :19/04/2018 , 2016 (VO)
Édition : Le Bélial
Traduction : Benoît Domis
Prix : Shirley Jackson award 2017, British Fantasy Award 2017.
En cette année 1924, Charles Thomas Tester, musicien médiocre et escroc de bas étage, traîne sa longue silhouette dans les rues grouillantes de Harlem en quête de quelques dollars, de quoi manger et conserver le toit qu’il partage avec son père vieillissant. Il n’ignore rien de la magie qu’un costume ajusté comme il convient peut provoquer, de l’invisibilité qu’un étui à guitare peut générer, jusque dans les quartiers les plus huppés, ni de la malédiction gravée dans la couleur de sa peau, celle-là même qui attire invariablement le regard des Blancs et des flics qui vont avec. Tommy est un prince. Un prince de Harlem. Mais quand il livre un grimoire occulte à une sorcière recluse au cœur du Queens, il n’a aucune idée des portes qu’il entrouvre alors, ni de la monstruosité que son geste pourrait bien libérer…
Une horreur à même d’engloutir New York tout entière.
Très drôle la photo en fin d’article ! 🙂
J’aimeAimé par 1 personne
Merci! C’est le jeu King of New York avec extension Cthulhu. C’était tout destiné pour la photo.
J’aimeAimé par 1 personne
[…] aussi les avis d’Apophis, de Gromovar, et de Célindanaé sur la version française. L’Albédo et Blog-O-Livre ont quant à eux chroniqué la version […]
J’aimeJ’aime
[…] sur Albedo (sur la VO), de Gromovar, de FeydRautha sur L’épaule d’Orion, de Célindanaé sur Au pays des Cave […]
J’aimeJ’aime
(merci pour le lien)
Je trouve ta critique excellente, car elle retrace de façon très claire la façon dont l’auteur est arrivé au résultat final, celui qui est donné à lire au consommateur. Cette critique ne se contente pas de dire c’est bien / j’ai aimé (ou pas) et elle va même plus loin qu’une analyse littéraire poussée (rythme, personnages, style, etc) puisqu’elle va jusqu’à exploiter l’intertextualité et à replacer le bouquin dans un contexte, un courant littéraire. Et ça, pour moi, c’est la marque des meilleures critiques et des blogueurs les plus intéressants. Chapeau bas !
(et je plussoie aux propos du camarade FeydRautha, l’image est excellente elle aussi !)
J’aimeAimé par 1 personne
Merci beaucoup! ça me touche beaucoup ce que tu dis!
J’ai lu le texte de Lovecraft juste avant pour arriver à mieux comparer. Je trouve vraiment que Victor Lavalla a fait un travail extraordinaire avec ce roman et je voulais le souligner.
Merci pour la photo!
J’aimeAimé par 1 personne
De rien. Oui, nous sommes d’accord, LaValle a réalisé quelque chose de hors-norme avec ce roman court.
J’aimeAimé par 1 personne
Merci pour cette critique détaillée qui permet de bien faire le lien avec le texte d’origine 🙂 Contente de voir aussi que nous sommes à nouveau sur la même longueur d’onde ^^
J’aimeAimé par 1 personne
J’ai eu envie de lire le texte pour mieux comparer. Mais ton avis est très intéressant, cela donne le point de vue de quelqu’un qui ne connait pas Lovecraft 🙂
J’aimeAimé par 1 personne
[…] critiques : Apophis (Le culte d’Apophis) ; Blackwolf (Blog-O-livre) ; Célindanaé (Au pays des cave trolls) ; Lutin82 (Albédo – Univers […]
J’aimeJ’aime
Merci pour le lien.
Je connais le jeu (très cool) mais pas l’extension, je vais y regarder de plus près.
J’aimeAimé par 1 personne
C’est une extension personnage, les cultistes sont avec le Cthulhu.
J’aimeJ’aime
Cool, c’est une de mes prochaines lectures. J’ai prévu de lire le texte de Lovecraft avant quand même histoire de pas tout faire à l’envers ^^
J’aimeAimé par 1 personne
C’est mieux en effet 😉
J’aimeJ’aime
Très belle chronique. La comparaison entre le texte de Lovecraft et la réécriture de Lavalle éclaire le récit et c’est très intéressant. Merci 😉
J’aimeAimé par 1 personne
Merci beaucoup 😉
J’aimeJ’aime
[…] Zelazny 11. Le sultan des nuages de Geoffroy A. Landis 12. Issa Elohim de Laurent Kloetzer 13. La ballade de Black Tom de Victor Lavalle 14. Le Fini des mers de Gardner Dozois 15. Les Attracteurs de Rose Street de […]
J’aimeJ’aime
[…] • La ballade de Black Tom de Victor Lavalle […]
J’aimeJ’aime
[…] ou d’un petit quelque chose pour en faire un roman vraiment marquant comme l’est La ballade de Black Tom de Victor Lavalle dans le même […]
J’aimeJ’aime
[…] La ballade de Black Tom de Victor Lavalle […]
J’aimeJ’aime
[…] La ballade de Black Tom de Victor Lavalle propose une réécriture de la nouvelle de Lovecraft L’Horreur à Red Hook. Un des textes les plus réussis de cette collection. […]
J’aimeJ’aime
[…] La ballade de black Tom de Victor Lavalle fait partie de la collection Une Heure Lumière des éditions Le Bélial’. La novella se déroule en 1924 à New York. On y retrouve la musique caractéristique des années 20 et surtout l’horreur cosmisque de Howard Phillips Lovecraft. En effet, le texte est une réécriture de la nouvelle L’Horreur à Red Hook mais avec pour personnage principal un musicien de rue noir. […]
J’aimeJ’aime
[…] inculte, Célinedanaë (Au pays des cave Trolls), Nevertwhere, Sabine (Fourbis et Têtologie), L’Épaule d’Orion, vous […]
J’aimeJ’aime